Photo de Dalida
Vie intérieure

Dalida, tes voisins et toi

Nous sommes samedi soir, il est 23h40, et les voisins écoutent Dalida à pleins tubes. C’est l’anniversaire de la maîtresse de maison —elle l’a dit tout à l’heure au petit qui lui demandait ce qu’elle avait reçu comme cadeau— alors pour l’anniversaire on allume la sono à fond, on ouvre grand la baie vitrée et on écoute toutes sortes de vieilleries qui elles seules ont le pouvoir toujours renouvelé de souder les amis dans la joie et le mauvais goût.

À cette heure-ci du début de la nuit, alors que les chaleurs estivales commencent à entrer en modestie, on rêverait de pouvoir laisser les persiennes ouvertes, s’allonger dans son lit et apercevoir un carré de ciel noir étoilé entre les immeubles, avec le silence pour seul confident.

Mais non. Il y a un anniversaire chez les voisins, sur le balcon d’en face, et ils écoutent Dalida en chantant. Ils chantent tous ensemble, bien en chœur et à pleine voix, avec cette camaraderie joviale et décomplexée qui fleure bon la finale de coupe du monde ou le slogan enfiévré de manif.

C’est collectif, c’est attendrissant, mais c’est horriblement faux. Le pire je crois c’est ça, c’est qu’avec les verres successifs qui ont humecté les gosiers depuis le début de la soirée, la montée en octaves du célèbre refrain devient de plus en plus pathétique.

Parce qu’il faut bien imiter l’accent de Dalida qui tangue et qui chaloupe à loisir, tout le monde se prend à rouler les r et à détacher les syllabes. Ça passe encore sur le couplet, on y trouverait même un léger entrain un peu guilleret… Mais le refrain !

Parrro-lé, parrro-lé, parrrol-é, parrro-lé, paroles et encore des paroles… Chaque « parrro-lé » successif est dangereusement plus faux que son prédécesseur. C’est l’escalade. Pour atteindre les aigus, l’on se sent obligé de pousser la voix, puis carrément d’hurler sur les dernières notes.

Les paillettes de la robe de scène de Dalida ont volé en éclats, son splendide brushing vavavoom et son micro sur pied ont été balayés par la beuglerie primaire.

Mais c’est le jeu des chansons populaires de fête. Il faut que tout le monde puisse les reprendre à l’unisson et que l’ensemble soit inévitablement fort, et faux, parce que c’est ça qui est jubilatoire.

Dans la plupart des cas, si personne n’est capable de chanter les paroles des couplets correctement, produisant à la place un yaourt un peu timide histoire de donner le change, le refrain lui est resté dans la mémoire de tous et devient un hymne à la joie du vivre-ensemble. Là on retrouve ses mots, et on y va franchement.

On rencontre cette communion cacophonique dans les mariages ou dans les bals de villages. Si les cordes vocales ne déraillent pas sur Dalida alors ce sera sur du Sardou, probablement les Lacs du Connemara, ou bien sur du Johnny, parce que rallumer le feu c’est un peu à ça que ça sert, quand on se retrouve tous à s’époumoner sur le répertoire des variétés qui ont fait la fierté de notre belle nation.

Sur ce, bon anniversaire, quand même. Je parie 10 € qu’ils nous passeront du Mike Brant avant la fin de la nuit.

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