Apologie de la cabane (ou pourquoi passer le réveillon dans une cabane dans les bois)
Vous l’avez toujours eue quelque part en vous, au fond. Bâtie avec des branchages dans un arbre en forêt ou en blocs de neige pour un igloo de fortune, établie sous un tipi de couvertures dans une chambre ou dans un recoin au milieu des outils de jardin, la cabane a nourri jadis votre imaginaire d’enfant.
Sa définition la circonscrit à une habitation précaire qui sert d’abri et de refuge, mais la cabane est bien plus que cela. C’est le repli que l’on choisit pour être en sécurité quand les conditions extérieures se font rudes, avec nos secrets et nos rêves pour seuls confidents, à la lumière vacillante d’une vieille lampe électrique ou d’une bougie.
À l’instar de Diogène et de son tonneau, la cabane est un abri de fortune qui nous sécurise et nous sert de carapace. En nous protégeant du monde alors qu’on se sent loin de tout, elle nous aide à porter sur ce qui nous entoure un regard différent et ce faisant, nous permet de nous ouvrir à notre propre quête intérieure.
Une sorte d’ermitage et un retour à l’essentiel bien mérité en cette fin d’année où le monde nous a paru se fermer au milieu d’un chaos anxiogène. Pas seulement parce que la distanciation sociale s’y prête mais parce que vous y gagnerez grandement en paix intérieure, cette année encore (oui, la cabane est un thème qui m’est cher), je vous invite à passer votre réveillon du jour de l’an loin des flonflons et des pocs de bouteilles de champagne.
Je vous emmène en forêt au-dessus de Prades, au pied des Pyrénées, dans une cabane dans les bois qui a tout d’une cabane forestière canadienne ou laponne et qui se trouve avoir la particularité d’abriter dans ses 50 hectares de forêt, une harde de cerfs et de daims…
La cabane, refuge de tous les imaginaires
Allez, faites un effort… Rappelez-vous.
Quand vous grimpiez quatre à quatre les marches grinçantes du petit escalier de bois qui montait au grenier et que vous vous installiez, dans un petit recoin calé entre deux malles et recouvert·e d’un carton, pour feuilleter les vieux albums photo de famille ou votre plus précieux livre d’alors…
Il ne vous fallait pas grand-chose pour la construire, votre cabane. Quelques branches, une couette, un carton. Et c’était pourtant le début d’aventures fantastiques où votre cocon bricolé vous emmenait ailleurs, au plus profond de vos mondes imaginaires.
La cabane, c’est le point de départ de tous les possibles qui vous emmène partout et nulle part à la fois.
Petite et chaleureuse, la cabane transforme tout ce qui l’entoure en univers fascinant.
Depuis la petite fenêtre de bois, les arbres de la forêt paraissent plus grands, les cerfs aperçus fugacement au matin dans la brume paraissent plus majestueux, le monde paraît plus vrai, et plus beau.
La cabane peut bien sûr être vue comme un espace de transition, sorte de première construction autonome de l’enfant quittant un temps le nid offert par ses parents pour se lancer seul à la conquête du vaste monde.
Elle peut aussi être perçue comme un instrument fascinant de retour vers soi pour l’adulte en quête de lui-même.
La cabane est une porte vers l’aventure, intérieure ou pas.
La cabane comme espace de retraite
Intimement liée à la Nature et au retour à soi, la cabane est le point de focale de notre mythologie intérieure.
Véritable espace de retraite, elle a depuis toujours abrité les ermites ou aventuriers repentis venus chercher en son isolement, au plus proche de la nature sauvage et parfois hostile, un lieu de recueillement en geste d’opposition à la société ou pour transcender leur quête intérieure.
Christopher McCandless, héros révolutionnaire malgré lui révélé grâce au film posthume Into the Wild, l’auteur Jack Kerouac, Henri David Thoreau ou d’autres ont vécu reclus au plus près des éléments. La sobriété heureuse (pour emprunter l’expression désormais célèbre de Pierre Rhabi) de leur nouveau mode de vie leur a soufflé des remèdes secrets pour soigner les maux de l’existence.
L’écrivain aventurier Sylvain Tesson ne s’y trompa pas, quand il partit s’isoler dans une isba (cabane russe) au bord du lac Baïkal, en Sibérie.
Six mois pour se reconnecter à l’altérité de la nature comme à soi-même, galvanisé par la simplicité d’une vie qui se résume à pas grand-chose et qui, ce faisant, laisse d’autant plus de place à la réalisation personnelle. À l’issue il signe Dans les forêts de Sibérie, un livre chargé de poésie, de nature brute et de réflexions intimes.
Trouver à manger, se chauffer, lire, contempler.
Au plus simplement vous vivrez, au plus directement vous retournerez au cœur des choses.
“Et si la liberté consistait à posséder le temps ? Et si le bonheur revenait à disposer de solitude, d’espace et de silence – toutes choses dont manqueront les générations futures? Tant qu’il y aura des cabanes au fond des bois, rien ne sera tout à fait perdu.”
Pour beaucoup de “chercheurs de silence”, quitter la civilisation pour vivre loin du monde et de son agitation mondaine dans le plus grand dénuement tient de la profession de foi.
Au fond, la cabane est une forme d’ermitage.
Pour autant, l’érémitisme n’est pas l’apanage des moines bouddhistes ou de quelques religieux extrémistes. Seule la solitude peut en effet nous conduire sur les chemins du cœur. Se dépouiller de tout laisse la place au grand Tout pour venir nous éclairer de l’intérieur.
Un réveillon loin du monde des Hommes
Pour réveillonner loin des nuisances du monde civilisé et de la ville, la cabane dans les bois n’a pas son pareil. Certains jugeront d’ailleurs qu’il est encore plus symbolique de choisir de s’isoler au moment précis de l’année où tout le monde met un point d’honneur à se retrouver.
Et encore de citer encore Tesson : “Le jour où j’ai lu dans une brochure ministérielle qu’on appelait les coureurs des bois des « usagers d’espaces arborés », j’ai su qu’il était temps de gagner la taïga. Une fuite, la vie dans les bois ? La fuite est le nom que les gens ensablés dans les fondrières de l’habitude donnent à l’élan vital. Un jeu ? Comment appeler autrement la mise en scène d’une réclusion volontaire devant le plus beau lac du monde ? Une urgence ? Assurément ! Je rêvais d’une existence resserrée autour de quelques besoins vitaux. Il est si difficile de vivre la simplicité.”
Pour trouver le cabanon qui sera votre havre de paix et le siège de votre répit en cette soirée du 31 décembre, nul besoin de courir la taïga. Pas nécessaire non plus de vous lancer dans une expédition de survie en parcourant les bois des jours durant pour rejoindre un abri de fortune.
Les cabanes, rustiques et accueillantes, peuplent encore nos forêts de France et nos alpages. Il suffit de savoir les chercher.
Le site collaboratif refuges.info indexe les cabanes qui se trouvent près de chez vous. Ou très loin, c’est selon. Souvent laissées ouvertes l’hiver par les bergers accueillants, les cabanes utilisées pendant les estives sont désertées à l’automne avec la redescente des troupeaux.
En dehors de l’été, elles offrent de merveilleux abris au randonneur de passage, sous réserve de laisser les lieux propres et entretenus comme ils l’étaient à votre arrivée.
Certaines sont accessibles au prix d’une marche d’à peine une poignée de minutes, mais, vous vous en doutez, ce sont aussi les plus courues par les “faux ermites du Jour de l’An”.
J’appelle ainsi les joyeux fêtards qui se retrouvent à 15 avec 6 caisses de champagne et le repas du traiteur dans le coffre pour célébrer la nouvelle année en faisant semblant de s’encanailler en cabane.
Autant le savoir dès le départ : avec les cabanes, la liberté gagnée est proportionnelle à la difficulté d’accès.
Une autre solution peut s’offrir aussi à vous, si la micro-aventure vous titille mais que vous ne vous sentez pas l’âme d’un trappeur : louer une cabane dans les bois via Airbnb.
Je sais, dit comme ça, le romantisme de l’aventure s’évanouit.
Mais il est possible de débusquer sur Airbnb de petites perles assez improbables comme “La Maison de Lucie”, à Mosset, près de Prades, où nous sommes allés passer quatre jours. Je l’ai renommée “la cabane des daims”. Un clin d’œil à mon imaginaire d’enfant.
Découverte de “la cabane des daims”
Trouver une cabane sur Airbnb, c’est l’option que nous avons choisie pour cause, d’une part, d’incertitudes liées au Covid sur la possibilité de partir à travers bois pendant les fêtes, et d’autre part, pour cause de santé me concernant. Cette année, je n’ai eu pas la force d’aller arpenter les sentiers en raquette (je sais, c’est bien dommage). Il me fallait du repos.
On prend la route le jour du 31 décembre. Un soleil mat éclaircit tout. On roulerait presque fenêtres ouvertes.
J’adore prendre “la route de l’Espagne”. Quelques années plus tôt, je la suivais chaque weekend pour rejoindre Cadaquès et notre voilier qui attendait patiemment au mouillage dans la petite baie face à l’église. Une autre forme de cabane flottant sur l’eau…
Le Canigou coiffé de neiges blanches se dessine en point de fuite au bout de la ligne imaginaire où disparaît l’autoroute. J’ai hâte d’arriver.
Quand le camion se gare devant le mas Santa Lucia, un jeune cochon grassouillet vient fureter à nos pieds en remuant l’arrière-train. Il colle son groin sur mes mollets en signe d’affection, ça fait des tâches rondes de terre humide.
Rose, la propriétaire à l’accent néerlandais intervient en souriant. « Il est pire qu’un chien ! » Je m’approche de l’espiègle animal et lui gratte le cou. De plaisir, il plisse ses petits yeux rieurs. « Je suis végétarienne, je ne te veux pas de mal. »
« On ne le mangera pas non plus, rassurez-vous, c’est un cochon de compagnie. » Tout de suite, je me détends. Le bucolique de la vie de la ferme trouve pour moi ses limites dans le sort réservé aux bêtes.
Rose nous escorte à pied jusqu’à la cabane pendant que son compagnon Christian emmène nos affaires en 4×4. Ça tombe plutôt bien, le chemin qui grimpe à travers champs est très boueux.
Le luxe, que je vous disais. Rien à voir avec d’autres aventures hivernales où l’on devait déneiger la porte de la cabane enfouie sous un mètre cinquante de neige avant de pouvoir poser nos affaires portées à dos d’homme depuis le fond de la vallée.
La vie en cabane
La “Maison de Lucie” est sise dans une forêt de chênes de 50 hectares. La particularité des lieux — et ce qui m’a immédiatement enchantée — est que Rose et Christian élèvent ici une harde d’une trentaine de cervidés semi-domestiqués qui donnent à l’endroit des allures de chaumière de Blanche Neige.
Quand le 4X4 arrive en haut de la colline, pas farouches, les graciles animaux rappliquent. Ils savent qu’ils vont avoir des friandises. Ça fait partie du spectacle de l’accueil.
Christian jette quelques poignées d’avoine sur le sol et on regarde avec délice biches, cerfs et daims se crêper le chignon pour avoir leur part.
Quand le 4×4 disparaît, tout redevient calme. Les animaux s’éloignent progressivement, retrouvant leurs instincts primaires, oreilles aux aguets.
La cabane est construite en gros rondins de bois. Elle doit faire une vingtaine de mètres carrés, avec un petit appendice sur le côté pour la salle de bain.
Il y a l’électricité grâce à un panneau solaire, mais il faut être économe. Pas question de charger un téléphone portable, par exemple. Pour ça il faut redescendre les 250 mètres qui mènent au mas et utiliser le préau de la buanderie où des prises sont à disposition des visiteurs. Parfait pour un séjour de digital detox.
Le lit ancien en fer blanc se trouve au fond de la pièce, avec vue sur le poêle à bois en fonte et la cuisine. Pour une cuisine de cabane, elle est très fonctionnelle et joliment décorée. Il y a deux feux de cuisson, un évier avec eau chaude, un petit frigo à gaz, de la vaisselle et de quoi déguster thé ou café pendant les longues soirées d’hiver.
Le poêle à bois est le centre de l’attention. Il produit dans la pièce une chaleur douce qui enveloppe tout. Le soir, pour économiser les batteries, on dîne à la bougie.
Prendre le temps, prendre le temps, prendre le temps
Mais que fait-on pendant les longues heures qui s’écoulent au milieu de rien, quand on vit dans une cabane dans les bois?
En premier lieu, on renoue avec une denrée rare qui nous fait défaut à la ville : le temps. Ou, comme le traduit Tesson, on “se réconcilie”.
“Je suis venu ici me réconcilier avec le temps. Je veux lui demander de m’apporter ce que les immensités ne me procurent plus : la paix. Je veux regarder passer les jours par le vasistas de ma solitude.”
Les méditants le savent bien, c’est dans l’inactivité qu’on accède à la véritable nature de l’être.
En cabane, on s’assoit devant le carreau et on regarde la neige tomber, on s’assoit devant le poêle et on fixe la lente oscillation des flammes, on s’assoit à la petite table et on contemple son bol de thé fumant.
Vous serez surpris·e de voir combien le temps vous échappe quand vous décidez enfin de vous adonner à la sublime activité de ne rien faire. Les heures coulent et on ne les voit plus.
J’ai appris à apprivoiser le temps en voilier, lors des longues traversées sur l’Atlantique où, se traînant dans une brise poussive, le bateau fendait les eaux parfois plus lentement que les méduses qui l’escortaient à la coque.
Être actif, s’agiter, se démener, voilà qui apporte du crédit dans la société dans laquelle nous vivons. Être sans arrêt occupé·e, ça fait bien. Ça fait utile. L’inactivité est suspecte, on pressent que l’oisif couve, sous son calme insolent, quelque indigence maladive ou des perversités de complot.
Ne rien faire vous aide à vous relier au rythme primitif du pouls de la Terre. Avec la nature en toile de fond, c’est comme admirer un tableau au musée, sans rien dire. Essayez juste quelques instants, et vous m’en direz des nouvelles.
Sinon, pour vivre en cabane, il suffit de s’en remettre aux activités simples qui rythment une vie proche de la nature : couper du bois, lire, nourrir les daims avec quelques grains de maïs, préparer son repas, dormir.
Mot de la fin
Il est vingt-et-une heures trente et nous venons de terminer le potimarron farci aux châtaignes, cuit tant bien que mal dans une petite cocote sur un feu à gaz toussotant.
La bouteille de pinot noir est passée sans accroc. Les bougies ont fondu. On remet quelques bûches dans le poêle avant d’aller se glisser sous les édredons. Pour une soirée de la Saint Sylvestre loin de tout, ne pas attendre minuit pour se souhaiter la bonne année est presque un soulagement.
Demain, on s’éveillera dans le froid, on rallumera le poêle et on guettera à la fenêtre pour voir si les daims se sont approchés pour nous dire bonjour.
Et on pourrait continuer comme ça pour toujours.
Éléments de bibliographie:
- Maëldan Le Bris Durest, Mue : une approche imaginaire de la cabane, Architecture, Aménagement de l’Espace, 2017. dumas-01624591 👉 un excellent mémoire de l’École Nationale D’Architecture de Nantes qui a inspiré en partie les réflexions de cet article
- Sylvain TESSON, Dans les forêts de Sibérie, Gallimard, 2011
- BOYER Marie-France, Le Génie des cabanes, Thames & Hudson, 1993
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2 commentaires
Lhuillier
Je trouve votre article intéressant et en même temps j’y trouve une certaine incohérence. Vous dites « Seule la solitude peut en effet nous conduire sur les chemins du cœur. Se dépouiller de tout laisse la place au grand Tout pour venir nous éclairer de l’intérieur. » ce qui est très juste et beau et peut être le plus difficile et en même temps vous jugez ceux qui font différemment. Ceux qui viennent fêter le nouvel an à 15 pour » faire semblant de s’encainnaller en cabane. » je trouve cela triste de juger les gens qui font différemment. Ceux qui mettent leur niveau de spiritualité au dessus des autres sont encore dans l’ego. Je vous souhaite encore davantage de retraite en cabane pour vous depouiller un peu plus de vos jugements qui ternissent selon moi ce partage.
Aude
Merci pour ce commentaire qui me touche au cœur parce qu’il est juste. Le jugement, quelle bataille pour s’en détacher ! Dans tout cheminement intérieur il y a la théorie, et… les vieux conditionnements, bien imprégnés d’ego sans doute, celui qu’on s’attache à essayer de faire taire mais qui ressort çà et là malgré notre vigilance. Je vous avoue que je n’ai pas ouvert ce blog pour donner des leçons mais pour partager des expériences de vie, et je sais que j’ai encore beaucoup de route à parcourir sur la voie de l’élévation spirituelle ! Sur ce petit passage, j’épinglais surtout ceux qui se disent en quête de nature et qui font en nature comme ils feraient chez eux. Mais vous avez totalement raison, le jugement était là. J’espère, d’ici quelque temps, que je pourrais revenir sur ce billet avec le sourire en voyant que maintenant, je suis en capacité de traiter les choses différemment 😉