Un enfant saute dans une flaque en bottes de pluie
Vie intérieure

Les bottes de pluie et le pouvoir d’invincibilité

Elles sont à elles seules un mélange de mélancolie et d’enchantement. Souvent rangées bien droites au bas du placard à chaussures, quand elles ne sont pas reléguées sur une étagère du garage, les bottes de pluie somnolent en attendant le retour en grâce des jours pluvieux. 

Les adultes les voient comme de vulgaires objets de commodité. On met des bottes de pluie pour aller à la chasse, pour pêcher, ou pour fouler la terre collante du potager détrempé. Les bottes de pluie servent à tenir les pieds au sec, et c’est tout. Ces bottes de caoutchouc-là affichent les couleurs ternes de leur utilité prosaïque. Elles sont kaki, rigides, avec une semelle épaisse crantée qui finit d’alourdir leur allure. 

Mais pour l’enfant, les bottes de pluie renferment la perspective d’odyssées fantastiques en territoires humides. Chausser ses bottes de pluie, c’est déjà partir à l’aventure. La botte de pluie est l’armure du chevalier qui va partir à l’assaut des flaques ou des marées basses. 

“Aujourd’hui, il pleut. Va mettre tes bottes”.

Enfiler ses bottes de pluie, c’est déjà devenir un·e autre. On prend des allures de marin en goguette, d’ours Paddington londonien ou d’éternel Petit Ours Brun en ciré jaune. 

Assis·e sur le banc dans l’entrée, on s’applique à glisser son pied dans les parois de plastique souple. Il faut d’abord remonter ses chaussettes, car on sait que d’ici quelques pas, dans le chaussant glissant de caoutchouc, elles auront tôt fait de se retrouver en boule au bout de nos orteils. Puis on s’évertue à faire rentrer le pantalon dans les bottes en le pliant méticuleusement sur lui-même.

Les bottes de pluie pour enfants sont infiniment plus gaies que celles des adultes. Pourquoi l’univers des grandes personnes doit-il toujours être sinistre ? Parfois jaune vif avec la semelle blanche, ou rouge étincelant, elles peuvent aussi se parer de motifs joyeux comme des fleurs, des arcs-en-ciel ou des étoiles. Les bottes de pluie pour enfants sont une promesse de bonheur renouvelé. 

Enfant ou pas, quand l’orage menace, on peut décider de faire un pied de nez à la fatalité d’avoir les pieds humides et d’enfin les chausser, ces bottes.

Sous la pluie, la terre spongieuse du chemin ventouse chacun de nos pas. Entre les herbes tendres où les gouttes s’accrochent en chapelets de perles translucides, les flaques nous tendent les bras. On les regarde d’abord de travers, prêts au zigzag, si peu habitués à tenter la ligne droite en terrain miné.

Et puis quelque chose d’incroyable se produit.

Sans hésiter plus longtemps, on décide de poser le pied dans la flaque, d’un bloc, avec une jubilation rayonnante. La flaque éclabousse et le pied s’enfonce dans l’eau boueuse. L’eau glisse et le pied reste sec, protégé par sa gangue de caoutchouc. 

La magie commence à opérer.

Voilà qu’un peu plus loin le sentier est traversé d’un petit ruisseau qui s’échappe du flanc de la colline. Sans tergiverser cette fois, on y plonge à pieds joints en regardant, presque incrédule, l’eau ruisseler sur la chaussure. 

Il se passe bien quelque chose, quand vous portez des bottes de pluie. Par une raison inexplicable qui va au-delà des questions de matières étanches, vous vous sentez tout d’un coup invincible.

Si l’eau ne peut vous atteindre, rien ne le pourra. 

C’est ça qui fait sauter les enfants dans les flaques avec un sourire triomphant. C’est la magie de se sentir inatteignable. La pluie peut redoubler de férocité et votre gabardine finir par montrer des signes de faiblesse, vous resterez toujours les pieds au sec. 

Les bottes de pluie vous gratifient de la force du chevalier, du héros ou du demi-dieu. 

Un peu plus et vous vous imaginez en Jésus foulant la surface des flots.

Marcher sur l’eau, c’est être épargné·e de tous les maux du ciel, protégé·e des profondeurs qui engloutissent et où l’on risque disparaître tout·e entier·e. C’est se sentir en capacité de traverser tous les obstacles qui paraissent insurmontables

Les bottes de pluie sont un pied-de-nez à l’inéluctabilité de notre défaite devant les axiomes de la vie, à commencer par l’eau qui mouille.

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