Attendre à la Gare de Lyon (en confinement et en hiver)
Les portes du RER parisien s’ouvrent et la première chose que vous voyez en descendant est un carrelage beige sale à grandes dalles qui se remémore encore avec émotion avoir été balayé par les longs pantalons patte d’eph’ des insolents beatniks des années 70.
Vous zigzaguez entre les voyageurs pressés pour quitter au plus vite ces souterrains glauques et nauséabonds en farfouillant dans votre poche pour trouver ce satané ticket de métro et éviter d’avoir à enjamber, tel Jacques Chirac, les maudits tourniquets. Vous le retrouvez tout fripé mais par chance, en le dépliant, le ticket passe encore dans la machine.
Le tapis roulant vous fait déboucher dans le Hall 2 de Paris Gare de Lyon. Le faible rayon de soleil qui se reflète un instant sur les structures en métal d’époque vous redonne un peu de baume au cœur. Au loin, les toits de Paris s’effacent dans une brume grise.
Une note s’échappe du piano mis à la disposition des voyageurs. Vous seriez presque mélancolique.
Un ange passe, et la vérité cruelle vous apparaît soudain toute nue : vous avez 4 heures à attendre avant votre train retour et il fait 2 degrés dans la gare.
Patienter dans les Espaces d’attente de Paris Gare de Lyon
Les voyageurs temporairement en transit dans cette France confinée se massent sur les sièges des aires d’attente de la gare SNCF battues par les courants d’air. Ils trouvent un peu de chaleur là où ils peuvent : dans un café à emporter, un bonnet enfoncé jusqu’aux oreilles, ou des frites tièdes du McDo d’à côté gobées machinalement.
Les architectes qui ont officié pour imaginer ces “espaces détente” de la SNCF ont, comme tous les architectes, pensé à tout sauf au confort de l’utilisateur. Les banquettes en bois aux formes design jouent à cache-cache avec des mange-debout insolemment incrustés de vitrines végétales et parés de prises fort utiles. Tout serait absolument splendide si au moins, l’espace était chauffé et… fermé.
Que voulez-vous, pour le réseau “Gares et Connexions”, la bonne vieille salle d’attente, c’est complètement dépassé. Du coup, vous hésitez même à aller faire la queue pour rien aux guichets de la salle des réservations des billets SNCF, qui elle a le mérite d’être un espace clos.
Vous vous asseyez sur un bout de siège piqué à une mamie (pas de quartier) pour mâchonner une mandarine et réfléchir à un plan d’action anti-froid.
Vous vous êtes levé·e à 4h du matin pour votre vol Londres-Paris, vous avez un teint et une coiffure de merde, vous ne ressemblez à rien dans votre jogging d’avion informe, vous avez bravé la sécurité de l’aéroport Paris Charles de Gaulle avec panache et si près du but, vous n’avez aucunement l’intention de périr dans le froid.
Pleurer devant les bars et restaurants qui sont fermés
Sauf que nous sommes en confinement et que tous les bars, tous les restaurants, tous les endroits chaleureux où vous auriez pu trouver refuge, l’espace d’un cappuccino réconfortant ou d’un thé bien chaud, sont fermés.
Le froid et l’humidité poussiéreuse de la gare commencent sérieusement à vous picoter le bout des oreilles. Vous avez le nez qui coule et votre masque est bon à essorer.
Malgré tout, vous n’avez nullement l’intention d’aller payer une chambre dans l’un des hôtels alentour pour bouquiner au chaud. 100 balles l’attente dans le quartier de la Gare de Lyon, ça fait tout de suite un peu cher.
Pour vous réchauffer, vous tournez en rond d’un pas las en traînant vos bagages du Hall 1 de la gare au Hall 2, et du Hall 3 au sous-sol du RER en cherchant là où la température est la plus supportable. Régulièrement, un train au départ sur une ligne est annoncé. Vous rêveriez être à la place de ceux dont le TGV est déjà disponible en gare pour quitter ce lieu glacial.
Errer dans la triste galerie marchande de Paris Gare de Lyon
On dirait cela dit que la galerie du bas, la sinistre Galerie Diderot, est un tantinet moins sujette aux courants d’air. Vous redescendez par les escalators. Au bout de 5 minutes, vous vous rendez-compte que rester planté·e dans le couloir fait un peu désordre.
Attiré·e par les radiateurs soufflants qui éructent leur air chaud entre les portes coulissantes, vous entrez dans la première boutique venue. L’air dégagé, vous faites semblant de vous extasier sur un pull en polyester.
Mais au bout de 10 minutes, la vendeuse de Camaïeu commence à vous toiser d’un œil inquisiteur. “Je peux vous renseigner ?”. Vous n’avez évidemment pas d’inspiration pour une réponse digne de ce nom. Penaud·e, vous marmonnez un motif de repli douteux et quittez le shop à regret.
Il vous reste exactement 3 heures et 47 minutes à tenir.
Quoi faire autour de la Gare de Lyon en attendant votre train
Sur votre téléphone, vous épluchez les idées de bons plans sur “quoi faire à la Gare de Lyon entre deux trains à Paris”. Les forums du web ne sont pas avares d’avis sur la question.
Premier bon plan, prendre un café au restaurant “Le Train Bleu”, cet établissement historique mythique qui a fait la renommée de la Gare de Lyon et du tout-Paris. Pas de pot, il se trouve être lui aussi fermé pour cause de coronavirus.
Deuxième bon plan, se promener au Jardin des Plantes qui n’est qu’à une dizaine de minutes de marche de l’autre côté de la Seine. C’est une excellente idée, mais toutes les serres et endroits chauffés du lieu sont eux aussi condamnés. Et vous n’avez pas du tout envie d’errer à l’extérieur du parc, sous l’œil goguenard des corneilles.
Troisième bon plan : aller se promener à Bercy Village. C’est bien, Bercy Village. C’est l’option qui a recueilli la meilleure note des internautes. Il y a un centre commercial, des boutiques d’artisans d’art pour Noël et des jardins. Mais voilà, votre bagage pèse lourd et il faut bien compter 20 minutes à pied dans le vent glacé pour vous y rendre. Vous renoncez.
Dernier bon plan : faire du shopping. Ah ! En voilà une belle idée. Camaïeu vous a ouvert l’appétit et vous décidez d’explorer la galerie marchande de la gare pour tuer le temps.
Faire du shopping à Paris Gare de Lyon
Dans votre petit tour, vous remarquez avec grand intérêt les promos de saison de San Marina et les ensembles pyjamas étoilés en pilou-pilou d’Etam Lingerie. Puis vous essayez de vous infiltrer chez l’Occitane, ce fleuron de la cosmétique méridionale à la française. Le chauffage y est tout aussi agréable que la délicate odeur de verveine citronnée qui flotte entre les rayons.
Après vingt minutes à faire le pied de grue devant les coffrets de Noël scintillants garnis de crèmes pour les mains, la vendeuse vous interpelle : “Tout se passe comme vous voulez ?
La réponse vous échappe des lèvres.
— Mais oui ! Mais alors OUI, COMPLÈTEMENT, ça tombe bien que vous me le demandiez, dites-donc ! Je me gèle les miches depuis 45 minutes et je me casse le dos avec mon bagage à main bourré à craquer pour ne pas payer le supplément soute d’Easyjet mais OUI ! TOUT VA POUR LE MIEUX MADEMOISELLE ET JE VOUS REMERCIE POUR L’ACCUEIL !”
La jeune fille se fige autant que son chignon laqué et vous vous rendez compte que vous avez un peu beaucoup haussé le ton. Vous quittez la boutique sans demander votre reste et décidez de fuir la galerie marchande pour vous replier sur un autre point stratégique.
Sur Google Maps, il est indiqué qu’il y a un centre commercial, à quelques encablures de la Gare de Lyon. Il s’agit du “Centre Commercial Gamma”. Le nom est douteux, mais vous tentez votre chance, malgré le peu d’avis positifs des gens qui sont miraculeusement passés par là.
De l’autre côté de la rue, fidèle à sa dénomination des années 60, le Centre Commercial Gamma est aussi triste qu’il est désert. Un corridor jaunâtre s’enfonce entre deux murs de grilles tombées et des papiers gras jonchent le sol. Vous ne sauriez dire si les boutiques ont fait faillite depuis 40 ans ou si le coronavirus a subitement ôté toute vie en ces lieux.
Pour échapper à ce temple de la glauquitude en plein Paris, vous filez fissa vous réfugier à nouveau dans le Hall 1 de la gare à l’étage. Au moins ici, on respire.
Mais le froid commence à vous mordiller les orteils.
Essayer les boutiques de restauration rapide
En face de vous, les gens se pressent dans l’une des rares boutiques de restauration rapide ouvertes dans la gare pendant le confinement : Pret A Manger.
Il ne faut pas s’y méprendre : Pret A Manger, qui vante des sandwiches fraîcheur préparés sur place, des croissants croustillants et des cafés bien de chez nous, n’est en aucun cas une chaîne qui est née en France ! C’est une chaîne britannique qui cache bien son jeu. D’ailleurs, la traduction de “Ready to Eat” est aussi littérale qu’elle est mauvaise.
Covid-19 oblige, l’espace de restauration sur place a été nettoyé de toutes ses tables et chaises, ne laissant qu’un grand espace vide au milieu duquel les gens font la queue, comme pendant la guerre.
Mais au moins, dans le restaurant, il fait bien meilleur.
Vous attendez votre tour en scrutant les rayons quand tout à coup, vous apercevez un produit qui vous fait de l’œil : une soupe bien chaude ! C’est revigorant, une soupe carotte-coriandre ou champignons-façon-risotto. On n’est clairement pas dans le plus fin des restaurants étoilés de Paris mais vaille que vaille, en temps de crise, la moindre soupelette peut vous sauver la vie.
Ô tragédie ! Il ne reste PLUS QU’UNE SEULE soupe champignons-risotto. Lorgnant avec méfiance sur les clients devant vous qui pourraient très bien vous piquer la dernière, arrivé·e à hauteur des soupes, vous saisissez le pot fumant rescapé avec avidité comme Gavroche piquerait une miche de pain à la sauvette.
Depuis la queue, vous remarquez qu’au fond de la grande pièce toute vide, ils ont laissé la poubelle, recouverte d’un plateau noir, à laquelle sont accoudés deux hommes maussades qui touillent leur café sans un mot. Ce n’est pas un comptoir de bar, mais ça fera très bien l’affaire pour manger au chaud. Tout à coup, il s’en vont : LA PLACE EST LIBRE !
Vous payez en toute hâte en jetant des coups d’œil anxieux derrière votre épaule. Le serveur vous tend votre commande dans un sac en papier marron en vous demandant si ce sera tout. En guise de réponse, vous lui arrachez le sac des mains sans vergogne. IL NE FAUT PAS PERDRE CETTE PLACE !
Vous foncez sur le bloc poubelle, en même temps qu’une sexagénaire en chapeau et manteau long qui entend bien profiter du bon plan. D’un bond, vous la coiffez au poteau et étalez votre sac, vos gants, votre bonnet et tout ce que vous avez sous le coude pour occuper l’espace. Vous en profitez pour renâcler grassement et tousser dans votre masque pour lui ôter toute envie de s’installer à vos côtés. C’est la guerre, on a dit !
Dégoûtée, l’élégante bat en retraite. Vous profitez alors d’un moment de grâce suspendu dans le temps hivernal de la SNCF : vous dégustez votre soupe épaisse à grandes cuillerées, en regardant le hall de gare qui ne désemplit pas de voyageurs transis.
C’est alors qu’une vendeuse vêtue d’un uniforme rouge et blanc vient vous taper sur l’épaule : “Excusez-moi, avec les restrictions sanitaires, il est interdit de manger à l’intérieur du restaurant”. Vous quittez votre refuge la mort dans l’âme.
Dans l’intervalle, tous les sièges de l’Espace Détente ont été réquisionnés.
Vous êtes sur le point de battre en retraite dans le sous-sol du métro quand tout à coup, une vision d’espoir se matérialise sous vos yeux : votre OUIGO est arrivé avec 20 minutes d’avance !
Le mieux, c’est encore de pouvoir attendre dans le train
C’est la meilleure nouvelle de la journée.
Vous jouez des coudes dans la queue pour faire biper votre billet retour par l’employé Ouigo vêtu d’une criarde polaire turquoise et d’une casquette de même ton, assorties aux couleurs de la ligne de TGV low-cost.
Une fois passé·e, vous courez presque sur le quai, vous vous engouffrez dans le wagon et vous laissez tomber à votre place avec un soupir de contentement.
Votre siège bleu ciel avec son atroce appuie-tête en skaï rose pétant qui ressemble à une grosse bouche vulgaire mal maquillée ne se règle pas. Tant pis. Vous avez payé un supplément de 4 euros pour être à l’étage et bénéficier d’une prise, un petit plus toujours utile pour un voyage Paris-Montpellier de 3 heures 30. Vous vous empressez d’y brancher votre téléphone. La prise ne fonctionne pas. C’est un peu ça, le double effet kiss-cool du Ouigo. Le prix est attractif, mais même avec un supplément, il ne faut pas s’attendre à la qualité de service de la première classe du Transsibérien Express.
Mais voilà qu’un attroupement de personnel Ouigo vient à s’organiser juste sous votre fenêtre. S’agirait-il d’une manifestation des employés qui contestent le style désopilant de leurs uniformes de travail ? Ou bien de la neutralisation en force d’un attentat terroriste (et dans ce cas, vous êtes en première ligne si la bombe explose) ?
Le fantôme de Karl Lagerfeld se matérialise tout à coup dans votre esprit en édictant, avec son accent germanique inimitable : « C’est moche, ça ne va avec rien, mais ça peut vous sauver la vie ». Aucun rapport avec les gilets jaunes de sécurité routière mais un doute vous envahit soudain sur la dangerosité du métier de contrôleur Ouigo. Est-ce que s’habiller en bleu layette et rose baby peut arriver à désamorcer une situation de crise où un passager violent qui n’aurait pas acheté son billet à 10 € essayerait de vous molester ?
Un contrôleur sort justement par la porte et se retrouve enseveli sous une pluie de confettis et de “Bravo Patriiiiiick ! Tu vas nous manquer !!!”.
“Le monsieur il a gagné quelque chose ?” demande la petite fille assise sur le siège de devant.
Coronavirus ou pas, Patrick, grisonnant sous sa casquette, est en train de donner des embrassades à tous ses collègues vêtus de bleu ciel et de rose avec des larmes au coin des yeux.
“Non, ce monsieur part sûrement en retraite, ses collègues de travail lui ont fait une surprise”, répond doucement la maman de la petite fille.
Vous vissez vos boules Quies dans vos oreilles. Alors que vos yeux se ferment de fatigue, les rires des collègues de Patrick deviennent de plus en plus ouatés. Le monsieur il a gagné le plus joyeux départ en retraite que vous ayez vu depuis longtemps, vous vous dites.
Alors oui, on peut penser que c’est pas terrible de bosser tous les jours en uniforme turquoise et rose, mais la chaleur de ces employés Ouigo vous a fait, en une poignée de seconde, oublier la morsure de l’hiver.
Pssst ! Ça vous a plu ? Notez !
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2 commentaires
Aurélie
Je découvre ton blog via les vadrouilleuses vertes. Pour avoir attendu une heure et quart mon ouigo ce matin gare de Lyon, je compatis… Ton article m’a bien fait rire en tout cas. Hyper sympa les confettis pour le jeune retraité !
Aude
Salut Aurélie, merci d’être venue faire un tour sur ce blog ! Contente de t’avoir apporté un peu d’humour sur un sujet hautement désagréable 😉 Mais je vois d’après ton blog que tu vis à la Réunion ! J’imagine que ça t’épargne peut-être de cette ambiance « gare de capitale » ! A très vite !