Champ de coquelicots au printemps
Vie intérieure

Le printemps du confinement

Il est 14:44 et vous écoutez La Matinale de Radio Paul FM. Votre déca a tiédi dans son mug et vous avez un bout de salade du midi coincé entre les dents. Vous jetez un regard triste de cocker neurasthénique au-dehors, sur la petite cour intérieure de 3×3 sur laquelle donne votre cuisine, tout en curant machinalement votre canine avec la carte de visite écornée du plombier qui traînait dans le vide-poche depuis la fuite homérique des chiottes au jour de l’an. 

Votre mur végétal créé avec passion le long des pierres du Gard vous laisse à présent indifférent·e. Au-dehors, il y a un soleil insolent. Mais vous, vous êtes cloué·e chez vous. Comme la France entière et 70 % du reste du monde.

Herbe verte au printemps
Herbe verte au printemps

Il y a quelque temps, enfin, avant, le printemps était le mois de la renaissance. Vous guettiez, comme un gosse lorgne sur le fabricant de crêpes qui étale une bonne louchée de Nutella sur la pâte encore fumante, vous guettiez, disais-je, l’approche du 21 mars avec une impatience mâtinée d’hystérie. 

Des expressions de béatitude botanique comme : “Oh, regarde ! Les forsythias sont en fleurs !” pouvaient s’échapper de votre bouche innocente, toute en joie qu’elle était que la nature reprenne ses droits après le rude hiver qui officie habituellement sous vos latitudes méditerranéennes.

La passion des premiers arbres en fleurs, vous tenez ça de l’ancienne voisine de vos parents, quand vous aviez 10 ans, qui accessoirement était aussi votre institutrice. Chaque printemps, du haut de sa fenêtre du premier étage, elle s’obstinait à photographier l’auguste prunus planté côté nord dans le jardin familial et vous glissait les photos à la sortie des classes, dans une enveloppe cachetée, avec un petit sourire de connivence. 

Vous n’aviez pas compris, à l’époque, l’intérêt de photographier les arbres. Ils sont tellement plus jolis en vrai. Mais aujourd’hui, vous comprenez. Sur les réseaux sociaux, il ne vous reste plus que ça pour rappeler la beauté du printemps à votre bon souvenir, ça, et vos yeux pour pleurer. 

Colorado Provençal - Sentier des Ocres
Colorado Provençal – Sentier des Ocres

Mars 2020 et son abominable coronavirus signe l’arrêt des batifolages dans le Colorado Provençal du Lubéron. Vous êtes, comme tout le monde, confiné·e entre votre canapé et votre lit. D’aucun diront que nous avons de la chance, nous autres, d’être confinés quelque part, ce qui n’est pas le cas des sans-abris qui se confinent Dieu où ils peuvent ; pour autant, nous ne sommes pas tous égaux et croyez-moi, certains ont BEAUCOUP plus d’espace que d’autres entre ces deux meubles incontournables de tout intérieur qui se respecte que sont le lit, et le canapé.

L’un des avantages du coronavirus, c’est de faire ressortir la poésie et la créativité de nos compatriotes. Coincés pour coincés, memes et autres vidéos domestiques hilarantes ont fleuri sur la toile et sincèrement, permettez-moi de dire que monsieur et madame-tout-le-monde ont quand même du talent. Le virus qui cumule les victimes chaque jour n’aura au moins pas tué notre sens de la dérision.

Cette fraternelle union virtuelle des humours populaires contraste d’autant plus avec la défiance palpable de ses congénères qui frappe le quidam dès qu’il ose mettre le pied dehors pour aller sortir les poubelles. Regards soupçonneux, moues acrimonieuses, changements inopinés de trottoir témoignent de l’atroce déformation sociale que le virus a opéré sur nous, étouffant jusqu’à la moelle toute velléité de courtoisie primaire.

Votre printemps rêvé, du coup, vous le vivez à l’intérieur, entre une bouchée de brownie maison et un plateau-télé dégoulinant de malbouffe grasse et croustillante, pour tuer votre désarroi en lançant, par une pression nonchalante de votre index maculé de béarnaise sur la télécommande de votre box, votre 17e série Netflix depuis le début du mois. 

Heureusement que les employés de Marie-Claire ont d’autres chats à fouetter en ces sombres conjonctures que les sempiternels marronniers de saison, sans quoi le classique “Belle en maillot pour la plage” risquerait fort de se terminer en “Baleine échouée fait naufrage”.

Jardin et vignes à Montmatre, Paris
Premières fleurs du printemps à Montmatre

Le coronavirus nous aura volé nos fleurs de printemps, mais il ne nous volera peut-être pas notre Temps des Cerises. Car l’épidémie est un combat, pour le personnel hospitalier comme pour nous autres, inutiles phasmes de salons férus de claironnants hymnes révolutionnaires. On aura au moins appris, tous ensemble et dans la contrainte de l’enfermement, ce que signifie le respect de l’autre, de la planète, et de la vie. 

Le virus secoue notre conception du monde. 

Mais quand l’épidémie sera passée, que restera-t-il de nos bien-pensantes prises de conscience ? 

Comme l’écrivait le Maître en 1986 :

“Nous irons à Tananarive, pour voir si ta nana revient.
[…]
Nous irons au bout du monde”

Reprendront alors les pollutions aériennes, routières et visuelles, traces que l’humanité irresponsable répand candidement derrière elle comme une traînée de bave radioactive en détruisant la planète au gré de sa folle conquête hégémonique. 

En attendant, laissons-nous enchanter par la poésie de nos compatriotes confinés en savourant, sous vos applaudissements, cet “Homme qui fait la vaisselle à 20 h”.


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