Randonnée à cheval dans les Hautes-Alpes
Provence-Alpes-Côte d'Azur,  Treks & Randonnées

Randonnée à cheval dans les Hautes Alpes sur 2 jours

Il t’a vue. Tu le sais parce qu’il a légèrement tourné la tête dans ta direction quand tu es arrivée. Tu as croisé ses grands yeux au regard doux. Immobile, il avait l’air plutôt serein, mais un détail a trahi sa curiosité intérieure : il a bougé une oreille vers l’arrière quand tu t’es approchée. Lui, c’est Titane. Le beau mâle à robe toute noire avec qui tu vas passer les 2 prochains jours de cette randonnée à cheval dans les Hautes-Alpes. Tu t’approches avec humilité, un sourire un peu niais en guise de déférence et pour montrer ta bonne foi. Tu as raison : à raison de 7 heures par jour de duo cavalier-monture, vous avez intérêt à devenir potes, Titane et toi.

La randonnée à cheval, c’est aussi pour les novices

Tu t’es levée ce matin sans savoir où tu allais parce que c’était ta surprise d’anniversaire. Sur la route qui serpentait dans les lacets à flancs de montagne, tu as commencé à apercevoir quelques petits panneaux qui t’ont mis la puce à l’oreille. “Les Sabots de Vénus”, c’est joli, comme nom.

Enfin, au détour d’un dernier virage, un centre équestre apparait, niché au creux de collines dans l’arrière-pays. Découverte : tu vas partir pour une randonnée de deux jours à cheval ! En réalité, tu en rêvais depuis des années sans avoir eu l’opportunité de te lancer dans une telle aventure équestre.

Seule ombre au tableau de la surprise, il pleuvait. Après un mois de mai éclatant, ce premier weekend de juin sous la bruine c’était vraiment la guigne pour le séjour qui était programmé.

Chevaux au paddock

Les chevaux prévus pour la rando attendaient sous le porche, attachés à leur anneau respectif. De belles bêtes plutôt trapues. À côté, un cavalier en bottes et chaps occupé à brosser tranquillement une jument à la robe pie. La jeune fille du centre équestre est arrivée à grands pas. Petit bout de femme d’un mètre cinquante, cash, sans détours : l’idée qu’on se fait d’une cavalière aguerrie.

En fait non. On imagine les centres équestres peuplés de jeunes filles en fleurs passionnées d’équitation, qui passent autant de temps à coiffer leurs longs cheveux d’adolescentes romanesques que les crins de leurs protégés. On les devine, dans leur chambre, à croquer inlassablement sur papier la musculature complexe de leur animal adoré galopant, en feuilletant les pages de “Mon Cheval Magazine”.

Cavalier dessinant des chevaux

Les chevaux sont roublards et ont les pieds sensibles

Là, la monitrice ne fait pas dans l’eau-de-rose. Toisant son équipage de cavaliers d’un air entendu, elle s’approche de moi d’un pas sûr : “Bienvenue, tu es à l’aise pour monter, d’après ce qu’on m’a dit ?”. Voilà. “Tu es à l’aise”. En fait, ton cher et tendre ayant voulu bien faire, il a choisi un stage “niveau intermédiaire” parmi les randonnées proposées parce que le parcours lui semblait plus casse-gueule  joli. Il a même ajouté “Oui, elle est partie toute seule en rando à cheval en Mongolie, elle a le niveau”.

En fait, pour ceux qui ont suivi tes aventures pathétiques de cavalière lors de ton voyage en Mongolie, tu sais que tu n’as pas le niveau. Tu cumules dans ta longue expérience équestre (qui se résume à la France) tout au plus une dizaine de balades à cheval (souvent en Camargue) cul-à-cul et au pas, ainsi qu’une colo de poney au Petit Bornand quand tu avais 10 ans, et basta. Petite, toi aussi tu as rêvé être cette cavalière en bombe rose qui trotte élégamment autour du manège mais non, tu n’as jamais pris de cours d’équitation.

Comble du malheur, tes deux acolytes cavaliers qui vont eux aussi participer à la randonnée ne sont pas là pour te rassurer. Le premier, le monsieur à la brosse (qui d’ailleurs s’appelle Dan) a fait tout le trajet depuis la Belgique pour le stage. “J’ai quatre chevaux à la maison et j’ai mon galop 7 mais je n’ai jamais pris le temps de passer le monitorat”. Tu te tournes anxieuse vers la jeune fille rouquine qui elle a pris le train la veille depuis Nice pour participer. “Moi, je monte en club depuis que j’ai 3 ans, c’est ma passion”. Voilà. Alors toi et tes expériences équestres à deux balles, vous pouvez vous rhabiller.

Chevaux au pré

Ta mine déconfite fait rigoler la monitrice. “Bah, t’es à l’aise à toutes les allures ?” “- Oui, oui”. “Super, alors vous prenez vos brosses, on leur donne un coup, on selle, on fait les sacoches et on y va”.

Tu attrapes dans le seau une brosse spéciale, ronde et plate à picots, et tu commences à faire de petits ronds consciencieux sur la robe noire luisante du beau Titane. La monitrice passe derrière toi : “Faut y aller franco pour décoller la crasse. Là, t’es en train de le chatouiller !”. Très bien, tu t’exécutes. Tu te mets à brosser avec ferveur dans tous les sens, si bien qu’au bout de 5 minutes tu te chopes une crampe au poignet.

Ensuite, c’est le nettoyage des sabots. La monitrice fait la démo. Elle se saisit d’un cure-pied, ce petit instrument qui ressemble à un tournevis plat coudé, puis elle soulève la patte du cheval qui plie docilement le genou, telle un damoiseau en révérence. “On cure bien sous le sabot et surtout autour de la fourchette, on enlève toute la saleté collée et on fait gaffe que rien ne reste qui pourrait le blesser”. Les chevaux ont donc les pieds fragiles et comme le dit le dicton, « Pas de pied, pas de cheval ».

Cheval noir au repos

Tu t’approches du robuste Titane. Tu lui attrapes la jambe avant en espérant qu’il plie le genou avec diligence. Que dalle il ne bouge pas d’un poil. “Fais descendre ta main jusqu’à l’articulation et vas-y franco, tu vas voir il va la lever”. Décidément cette monitrice a des yeux derrière la tête. Le nettoyage finit par se dérouler sans encombre.

On passe ensuite aux selles. Seller un cheval, c’est un art, surtout quand on part pour des randonnées un peu longues. Tu as quand même retenu la leçon de la Mongolie : les chevaux sont de sacrés roublards qui gonflent à plein les poumons quand tu serres les sangles, si bien que quand tu as fini, ils ont cette petite marge de confort supplémentaire et que du coup la selle ne tient pas bien. Pas terrible, d’autant que ça risque de les blesser en marchant.

En France, les chevaux de pays sont heureusement plus dociles. A priori, pas besoin de donner un petit coup de coude dans les côtes du canasson histoire de l’empêcher de faire la baudruche, ici, on n’est pas chez John Wayne. On t’apprend qu’il suffit de le sangler en deux fois pour faire face au problème de gonflement intempestif.

Puis les sacoches sont fixées, remplies des pique-nique du jour, et on est prêts à partir. Le truc pratique, c’est qu’un 4×4 du centre équestre va rejoindre votre groupe tous les soirs dans les différents gîtes pour le ravitaillement.

Pendant la rando, les chevaux ne porteront donc que leur cavalier, et le déjeuner du midi. Ah si, il y en a une qui va porter un peu plus, c’est la mule qui vous accompagne. La mule a ce bagage héréditaire malheureux qui fait que depuis des millénaires, on la charge à tout va. Randonnées ou travaux des champs, même combat. On réfléchira plus tard au sujet de la libération des mules.

Premier jour : à travers la rivière et les propriétés privées

C’est le départ. Tout ce joyeux petit monde s’en va d’un pas léger, en rangs d’oignons avec une place précise pour chaque cheval. Voyez-vous, en randonnée à cheval, certains ne supportent pas d’avoir l’arrière-train de leur collègue dans le nez et vice-versa. L’ordre est donc à respecter.

Il se trouve que Titane, qui a son petit orgueil, préfère marcher devant Cannelle, qui est une jument fatiguée. Si elle fait mine de le dépasser, voilà le pépère qui tout à coup tape un trot pour la distancer. Tu t’émerveilles des hiérarchies tacites qui existent entre ces bestioles d’apparence faussement placide.

Le circuit de la rando commence à travers la plaine. Champs et forêts de feuillus, traversée de rivières, c’est beau, et c’est dommage que le temps ne se dégage pas davantage. C’est encore le début du printemps dans les Hautes-Alpes, les champs de blé vert en fond de vallée sont parsemés de coquelicots, c’est ravissant.

Ce qui l’est moins, c’est la vieille qui se met à hurler à sa fenêtre “Propriété privééééee !” quand le groupe fait mine de longer son champ pour atteindre la forêt. Tout d’un coup l’angoisse te saisit. Et si son mari vous envoyait des plombs ? Eh bien non, point de plombs, mais le voilà qui saute sur son quad pour venir déloger manu militari le cortège de cavaliers. Heureusement pour nous, ce couard fera machine arrière avant d’avoir à tâter le goût des sabots dans son maxillaire.

La fin de journée se termine dans un très joli gîte forestier, entouré d’une clairière. Tu postes ton cheval devant la grange et tu te réjouis de pouvoir enfin te dégourdir les jambes. Malheureusement, ce qui devait arriver arriva. Après 7 heures de cheval, quand tu descends de ta monture, tu n’arrives plus à marcher. Ça te rappelle la Mongolie où une jeune femme rencontrée dans un camp de yourtes t’avait confié que son amoureux avait chopé une cloque géante sur le postérieur à force de chevaucher en voyage des jours durant. Tu angoisses secrètement que le coup de la cloque ne t’arrive à toi. Mais bon, c’est le jeu ma pauvre Lucette.

Par chance, on ne compte pas sur toi pour construire l’enclos pour les bêtes. Alors que le soleil disparaît derrière la montagne, tu as juste l’énergie de desseller ta monture, profiter d’une douche chaude tout à fait inespérée dans ce type de séjour et venir déguster le bon petit dîner prévu par l’organisation, avec apéro et tiramisu maison en dessert.

Deuxième jour : montagne, forêt, orages et réflexions philosophiques

Le deuxième jour de cette randonnée à cheval s’annonce corsé à cause de la météo. On est en montagne et il faut être ultra vigilants. Les prévisions annonçant un très gros orage pour l’après-midi, la monitrice décide qu’il faut se lever aux aurores, préparer les chevaux et avancer d’une traite avant 13 heures, date fatidique de l’arrivée de la perturbation.

Autant dire qu’avec 6 heures d’équitation non-stop, la journée se déroule sans temps morts. Les paysages sont plus montagneux au fur et à mesure que les dénivelés s’accumulent. En prenant de l’altitude, on entre dans le vif de l’aventure. Les reliefs se dessinent. Les chevaux hésitent parfois sur les petits sentiers caillouteux à flanc de falaise, il faut les encourager voire même descendre devant eux et les guider au licol pour les passages les plus délicats.

Paysage panoramique des Hautes-Alpes

Mais la forêt est somptueuse. Comment décrire ce sentiment ? Tu chevauches fièrement tel un aventurier en plein nature et c’est vraiment incroyable. Tu es en France, mais tu te rêves dans le Grand Ouest, et scrute si un Indien d’Amérique authentique ne va pas surgir des bois au grand galop.

Si ce n’était cette maudite douleur dans le dos, les cuisses, les mollets, finalement… partout, randonner à cheval ça serait le rêve. Le gîte se dessine dans la brume d’une clairière verdoyante. Un ruisseau gargouille en contre-bas. C’est beau, mais c’est déjà la fin du voyage.

L’arrivée est mémorable : à peine le temps de desseller qu’une pluie torrentielle s’abat sur le refuge ONF. Tout le monde se met çà l’abri, sauf les guides qui doivent préparer l’enclos. Tu regardes la pluie tomber à travers les carreaux du gîte en attendant que le 4×4 du retour vienne te chercher et tu réfléchis. Oui, la pluie porte à penser.

Il y a une chose que tu es en droit de te demander, c’est pourquoi, à tous les moments où la fatigue s’est manifestement abattue sur ta bête, la monitrice t’a invitée malgré tout à la sermonner à coups de cravache pour qu’elle avance. Étais-tu tant que ça en communion avec ta monture ? Au final, un cheval, qu’est-ce qu’il pense de l’équitation quand on lui met des grands coups de taloche dans les côtes ? L’équitation ne serait-elle pas une fois de plus la démonstration d’une vulgaire domination de l’homme sur l’animal, qui, dressé pour, n’a d’autre choix que d’obtempérer ?

Dans cette randonnée à cheval, c’est vrai, y a eu des moments de grâce où tu sentais que tu ne faisais qu’un avec ton cheval. Mais ils ont été rares. Toi qui aurais rêvé, tel un cavalier mongol, chevaucher à cru dans la plaine…

Eh bien cette expérience a porté ses fruits car une fois rentrée tu as fait des recherches et tu as découvert qu’une solution existe, ou en tout cas un courant. Ça s’appelle « l’équitation éthologique« , issue de l’éthologie, qui repositionne le cheval en tant qu’individu qui a des émotions et peut faire des choix, individu que l’homme doit s’efforcer de comprendre, dans ses comportements naturels, et de respecter. Mais ça, c’est une autre histoire…

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